L'ombrelle De Madame Arriem - Tumblr Posts
Publication
Je viens de publier en auto-édition un recueil de nouvelles !
Il s’appelle “L’ombrelle de Madame Arriem et autres nouvelles de science-fiction” (oui pour le titre je suis restée sur quelques d’explicite; et simple, court et percutant, évidemment). Il reprend 11 histoires que j’avais déjà postées sur mon compte Wattpad, surtout des histoires courtes, une plus longue et une pièce de théâtre, ça parle d’anticipation, d’IA, d’aliens, et globalement de gens qui font ce qu’ils peuvent dans un monde décalé...
Vous pouvez trouver l’ebook pour 2€99 sur Amazon et Bookelis (il sera bientôt téléchargeable sur le site de la Fnac et de Bookeen), ou la version papier sur Amazon.
(ou sinon, la version moins peaufinée mais gratuite est toujours disponible sur Wattpad, je dis ça je dis rien)
Pour vous donner un aperçu du style, je vous mets en dessus une des nouvelles du recueil :
Virtuel
Nous avons banni la possession. Rejeté l’agressivité née des traitements injustes. Oublié le chaos d’un monde d’incessants changements. Nous ne sommes plus à l’époque de la compétitivité où tout le monde se bat contre tout le monde. Nous ne sommes plus à l’époque de la coopération où il faut suivre les règles arbitraires de la masse. Nous sommes à l’époque de l’optimisation. Une place pour chacun et chacun à sa place. Un monde en ordre.
Ma place est de veiller à maintenir cet ordre en éliminant le superflu et autre création séditieuse.
J’avançais à pas lents dans les rues du quartier des affaires. Ce jour-là, c’était inspection surprise, et personne, pas même moi, ne savait à l’avance dans quel luxueux building j’allais entrer.
Je guettai ma montre. À 9h00, j’entrai dans le premier immeuble sur ma droite. Devant ma carte d’inspecteur, les vigiles me laissèrent passer sans faire de commentaire.
Une fois dans l’ascenseur, j’appuyai sur un bouton au hasard. Quatrième étage, comptabilité. Parfait.
J’arrivai devant une centaine de bureaux alignés. Les comptables étaient concentrés et silencieux, comme il se devait.
Le bruit de fond qu’on entendait était le résultat du crépitement de milliers de touches et de centaines de souffles entremêlés, ce qui étrangement me fit penser aux vagues et à la mer. Comme une respiration.
J’allai jusqu’au premier poste de travail et pris délicatement la place d’une jeune femme. Elle resta debout à mes côtés, attendant docilement la fin de mon inspection.
Dans son ordinateur, je ne trouvai rien qui soit superflu. Je me connectai alors au réseau de l’étage. C’est souvent là que ça se cache. Les malfiles.
Dans les programmes, des lignes de codes inutiles. Ouvrant, lorsqu’on sait y accéder, sur des fichiers inutiles. Contenant des textes inutiles. Des images inutiles. Des jeux inutiles. Des créatures virtuelles réclamant à manger, des pièges déclenchant des ricanements de troll, des langues inventées, des conversations absurdes. Des choses qui ne devraient pas exister. Une fois que je les avais trouvées, je veillais à ce qu’elles retournent au néant.
Je ne m’occupe pas des punitions. Je ne me soucie pas de savoir si les fichiers détruits ne sont pas recréés immédiatement. Chacun a un travail à effectuer et le mien est d’assurer la salubrité de l’espace virtuel commun des entreprises.
Pas besoin d’ouvrir ces fichiers pour les détruire. Heureusement. Non pas que j’ai peur d’être détourné de ma tâche. Mais simplement, ça me ferait perdre mon temps et mon efficacité. Jour d’inspection surprise, huit services doivent être examinés et désinfectés, une tâche qui doit être achevée à 18h00. Je n’ai pas le temps de savoir ce que j’efface.
Un point cependant affecte ma concentration depuis quelques mois. Il me semble bien être moins efficace. J’ai d’abord craint d’avoir vieilli et perdu de mon efficience cognitive. Un rapide check-up m’a prouvé qu’il n’en était rien. J’ai donc vérifié mes rapports. Et j’ai dû me rendre à l’évidence : le nombre de malfiles ne fait que croître.
J’ai signalé le fait aux instances en charge. Sans réponse jusqu’à présent, j’hésite à creuser le mystère moi-même. Car enfin, qu’y trouve-t-on, dans ces malfiles, qui soit si passionnant ? Pourquoi perdre son temps ainsi ? Nous ne travaillons pas jusqu’à épuisement, nous jouissons de notre repos, nous nous épanouissons dans nos familles et nos liens sociaux nous assurent une stimulation enrichissante. Pourquoi gaspiller ainsi son énergie et sa concentration ? Les malfiles ne servent à rien, c’est leur définition première. Ils sont stériles. Et pourtant, avec acharnement, on continue à les créer.
Si je reviens sur ces points, c’est pour expliquer clairement pourquoi ce jour-là, trouvant un malfile et malgré le temps qui risquait de me manquer, j’ai cherché la combinaison permettant de l’ouvrir. J’avais une raison parfaitement logique. Il était rationnel de penser que l’énergie perdue serait compensée si je parvenais à enrayer la progression de malfiles.
Sa protection était solide, mais rien dont je ne puisse venir à bout. Il contenait une représentation en trois dimensions d’une créature. Celle-ci pouvait réagir à une série d’ordres. On distinguait une tête avec deux yeux, deux oreilles, une bouche. Un corps, quatre pattes, une queue. La tête était bien trop grosse par rapport au corps, et les yeux bien trop gros par rapport à la tête. Un tel animal ne pouvait être viable dans la réalité. Une fourrure jaune et noire le couvrait. Il pouvait s’asseoir, hocher la tête, sourire, se mettre sur ses pattes arrière et mettre sa tête entre ses pattes tout en fermant les yeux. D’une manière générale, il avait l’air heureux.
Un animal virtuel montrant un bonheur virtuel. Voilà qui ne répondait certainement pas à mon « pourquoi ». Les êtres humains heureux, ce n’est pas ce qui manque. Quoiqu’aucun humain ne peut avoir l’air si heureux. C’est comme si tous les éléments servant à exprimer le bonheur étaient exagérés dans cette créature. Loin d’être monstrueux, le résultat était... mignon. Étrangement touchant.
Une stimulation de nos instincts de protection les plus primaires, visiblement.
Mais les créateurs de malfiles ne sont tout de même pas en manque d’enfant. La répartition de la fertilité a été pensée en fonction des capacités de chacun à élever un enfant. Les non sélectionnés sont ceux qui n’étaient pas prêts à la parentalité. Et cette chose, quoique juvénile, était clairement animale — bien que l’animal fût inidentifiable.
Je pris ma décision bien plus rapidement que je ne peux taper ces mots et détruisis le malfile et son contenu. Il y en avait deux autres dans ce service. J’hésitais, ayant déjà perdu trop de temps et n’étant pas certain de la viabilité de ma stratégie. Cependant je choisis de persévérer.
Le premier était un texte. Il commençait comme une description ordinaire d’un paysage. Puis, comme si c’était la chose la plus évidente du monde, le narrateur évoquait le passage d’un dragon dans le ciel. Alors que les personnes décrites comme assistant à la scène n’étaient ni surprises ni effrayées. Elles étaient occupées à se plaindre du départ de l’un de leurs enfants qui comptait apprendre la magie. Ce qui n’existe pas. Sans oublier que les enfants n’aident pas leurs parents dans leur travail ni que personne ne cultive la terre sans machine. Ces gens n’étaient pas des citoyens. Alors pourquoi raconter leur histoire ? Pourquoi mentir à propos de magie et de dragon ?
Je détruisis le texte.
Quant au dernier malfile, il était plus étrange encore. Un court film, comme tiré d’une caméra de sécurité. Deux personnes se faisaient face, un homme et une femme. Ils se disputaient. Et la femme tira un couteau de sa poche et assassina l’homme. Je vis la lame, le sang, j’entendis son cri de souffrance. La caméra n’était pas fixée au mur, elle avait été avancée vers le visage de la femme et on voyait ses larmes scintiller dans la pénombre.
Je me mis en colère.
Pourquoi faire ça ? Pourquoi mentir ? Cet animal n’existait pas ! Ce dragon n’existait pas ! Ce meurtre et cette tristesse n’existaient pas ! Pourquoi se donner tant de mal pour tant de rien !
Sans réfléchir, j’agrippai la femme debout à côté de moi par le col et la secouais. Je voulais la punir, elle et tous les autres, d’être si stupide. Je voulais avoir une autre place que la mienne.
Je lui demandais si elle savait qui était responsable de ces malfiles. D’un doigt tremblant elle me désigna une autre femme, deux bureaux plus loin. Celle-ci, les lèvres pincées, semblait concentrée sur son travail. Elle savait pourtant bien ce qui allait lui arriver...
Alors je me suis jeté par la fenêtre en battant des bras. Grâce à ce stratagème, je me suis envolé au lieu de m’écraser sur le trottoir.
Sauf que le paragraphe précédent est faux. J’ai bien sûr réfléchi. J’ai terminé consciencieusement mon travail en ces lieux. J’ai mené à bien les sept inspections surprises suivantes, puisque c’était le jour des inspections surprises. Je n’ai pas ouvert d’autre malfile et mon retard a finalement été modéré.
Jamais je n’ai été violent, jamais je n’ai demandé à une employée de dénoncer qui que ce soit, et jamais bien sûr je n’aurais pu voler en battant des bras. Ce ne sont que des mensonges. J’ai écrit ce texte pour créer à mon tour un malfile, et j’ai veillé à y mentir. À présent j’ai terminé mon mensonge. Conclu mon histoire.
Et je ne comprends toujours pas.